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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/183

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La Guigne


Il ne se plaignit pas et souffrit sans murmure.
Depuis lors, tout le temps il battit le pavé,
Oubliant le travail, errant à l’aventure,
Ou, des fois, méditant, au même endroit rivé,
Retournant à plaisir le fer dans sa blessure.
Un jour il se pendait… mais on l’avait sauvé.

La mort l’ayant trahi, tout comme sa maîtresse,
Il goûta de l’oubli qu’on trouve au cabaret.
Il buvait en barbare, avalant d’un seul trait
Les verres d’alcool, vidés, remplis sans cesse.
Mais lentement sur lui la liqueur opérait,
Car sa mémoire était plus forte que l’ivresse.

Ses jarrets fléchissaient ; il marchait, titubant,
Ignoble, débraillé, l’haleine corrompue.
Les lâches d’autrefois jubilaient à sa vue.
On le trouvait souvent endormi sur un banc,
Et même il arriva qu’étendu dans la rue,
Les gamins piétinaient son corps en l’enjambant.