Aller au contenu

Page:Eiffel - La tour Eiffel en 1900, 1902.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

§ 6. — Protestation des Artistes.


« Il avait fallu beaucoup de ténacité à M. Eiffel et quelque courage au Ministre, Commissaire général, pour conclure cette convention.

« Sans parler des sceptiques qui avaient mis en doute la possibilité de mener à bien une œuvre si nouvelle et si gigantesque, on avait assisté à une véritable levée de boucliers de la part des artistes.

« Voici une lettre fort curieuse, au point de vue historique, qui était adressée à M. Alphand, vers le commencement de février 1887, et qui portait la signature des peintres, des sculpteurs, des architectes et des écrivains les plus connus :


Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu'ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire français menacés, contre l’érection, en plein cœur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse Tour Eiffel, que la malignité publique, souvent empreinte de bon sens et d’esprit de justice, a déjà baptisée du nom de « Tour de Babel ».

Sans tomber dans l’exaltation du chauvinisme, nous avons le droit de proclamer bien haut que Paris est la ville sans rivale dans le monde. Au-dessus de ses rues, de ses boulevards élargis, le long de ses quais admirables, du milieu de ses magnifiques promenades, surgissent les plus nobles monuments que le génie humain ait enfantés. L’âme de la France, créatrice de chefs-d’œuvre, resplendit parmi cette floraison auguste de pierres. L’Italie, l’Allemagne, les Flandres ; si fières à juste titre de leur héritage artistique, ne possèdent rien qui soit comparable au nôtre, et de tous les coins de l’univers Paris attire les curiosités et les admirations. Allons-nous donc laisser profaner tout cela ? La ville de Paris va-t-elle donc s’associer plus longtemps aux baroques, aux mercantiles imaginations d’un constructeur de machines, pour s’enlaidir irréparablement et se déshonorer ? Car la Tour Eiffel, dont la commerciale Amérique elle-même ne voudrait pas, c’est, n’en doutez pas, le déshonneur de Paris. Chacun le sent, chacun le dit, chacun s’en afflige profondément, et nous ne sommes qu’un faible écho de l’opinion universelle, si légitimement alarmée. Enfin,