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Page:Eiffel - La tour Eiffel en 1900, 1902.djvu/25

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lorsque les étrangers viendront visiter notre Exposition, ils s’écrieront, étonnés : « Quoi ? C’est cette horreur que les Français ont trouvée pour nous donner une idée de leur goût si fort vanté ? » Ils auront raison de se moquer de nous, parce que le Paris des gothiques sublimes, le Paris de Jean Goujon, de Germain Pilon, de Puget, de Rude, de Barye, etc., sera devenu le Paris de M. Eiffel.

Il suffit, d’ailleurs, pour se rendre compte de ce que nous avançons, de se figurer un instant une Tour vertigineusement ridicule, dominant Paris, ainsi qu’une noire et gigantesque cheminée d’usine, écrasant de sa masse barbare Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, la Tour Saint-Jacques, le Louvre, le dôme des Invalides, l’Arc de Triomphe, tous nos monuments humiliés, toutes nos architectures rapetissées, disparaîtront dans ce rêve stupéfiant. Et pendant vingt ans, nous verrons s’allonger sur la ville entière, frémissante encore du génie de tant de siècles, nous verrons s’allonger comme une tache d’encre l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée.

C’est à vous qui aimez tant Paris, qui l’avez tant embelli, qui l’avez tant de fois protégé contre les dévastations administratives et le vandalisme des entreprises industrielles, qu'appartient l’honneur de le défendre une fois de plus. Nous nous en remettons à vous du soin de plaider la cause de Paris, sachant que vous y dépenserez toute l’énergie, toute l’éloquence que doit inspirer à un artiste tel que vous l’amour de ce qui est beau, de ce qui est grand, de ce qui est juste. Et si notre cri d’alarme n’est pas entendu, si nos raisons ne sont pas écoutées, si Paris s’obstine dans l’idée de déshonorer Paris, nous aurons du moins, vous et nous, fait entendre une protestation qui honore.


« De la forme de cette philippique, je ne dirai rien : les grands écrivains qui l’ont revêtue de leur signature avaient cependant donné jusqu’alors à leurs lecteurs une idée différente de la langue française.

« Dans le fond, l’attaque était tout à fait excessive, quelles que fussent les vues des protestataires sur la valeur esthétique de l’œuvre. Le crime qu’allaient commettre les organisateurs de l’Exposition, de complicité avec M. Eiffel, n’était point si noir que Paris dût en être à jamais déshonoré. De pareilles exagérations peuvent s’excuser de la part des artistes, peintres, sculpteurs et même compositeurs de musique : tout leur est permis ; ils possèdent le monopole du goût ; eux seuls ont le sentiment du beau ; leur sacerdoce est infaillible ; leurs oracles sont