Page:Elder - Le Peuple de la mer.djvu/23

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vieille mémoire en la guignant derrière ses lunettes. Il lui vanta son œuvre, fit l’article :

— C’est aussi beau que toi une barque comme ça ! On a les gabarits, si Gaud voulait, on lui construirait la pareille…

— Faut de l’argent, et on n’en a point…

— Parce que tu veux pas en chercher, insinua le grand-père.

Elle haussa vigoureusement les épaules, cilla vers Urbain en lâchant :

— Tout le monde n’a pas de la chance !

On ricana. Le dos d’Urbain Coët ne broncha pas, son bras travaillait d’un mouvement égal, et pourtant le sang lui battait dans les artères. Urbain avait senti l’allusion comme une insulte, car il connaissait la médisance.

C’était une très héroïque histoire malhonnêtement faussée, et qui remontait au mois d’octobre 1878. Le trois-mâts norvégien Tyrus, en fuite sous la tempête et cherchant les abris de l’île, touchait la roche des Barjolles, dans le chenal de la Grise, entre le Pilier et l’Herbaudière. Le navire sombra, la mâture vint en bas. Jean-Marie Coët, le père, lançait le canot de sauvetage qu’il patronait et embarquait avec ses hommes. Trois fois ils quittèrent le port, luttèrent pendant deux heures, jusqu’à l’épuisement, couverts d’eau et culbutés par les lames. Sur la jetée, les femmes,