Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/221

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reconnaissante ! oh ! oui, bien reconnaissante ! Vous ne m’avez pas méprisée.

— Beaucoup d’autres auraient fait comme nous, mon enfant, dit madame Meyrick qui sentit ses yeux se mouiller.

— Mais je ne les ai pas rencontrés ! ils ne sont pas venus à moi !

— Comment avez-vous été enlevée à votre mère ?

— Ah ! j’y ai pensé longtemps. C’est terrible à raconter, et cependant je veux tout vous dire. C’est mon père qui m’a séparée de ma mère ! Je croyais que nous allions seulement faire un petit voyage, et j’étais dans l’enchantement. Nous nous embarquâmes sur un navire et nous allâmes loin, bien loin. Je ne savais rien alors et je croyais mon père quand, pour me consoler, il me disait que nous retournerions auprès de ma mère. Nous atteignîmes l’Amérique, et il devait se passer bien des années avant que nous revinssions en Europe. J’appris vite à écrire parce que je voulais correspondre avec ma mère ; mais un jour, que j’essayais de tracer une lettre, mon père me prit sur ses genoux, et me dit que ma mère et mon frère étaient morts et que c’était pourquoi nous n’étions pas retournés auprès d’eux. Je ne me souviens que peu de mon frère ; il me portait autrefois, mais il n’était pas toujours à la maison. Je crus mon père lorsqu’il me dit qu’il étaient morts ; je les vis sous la terre avec leurs yeux fermés pour toujours. Je ne pouvais douter de la vérité, et, toutes les nuits, pendant bien longtemps, j’arrosais mon oreiller de mes larmes. Mais, comme je revis souvent ma mère dans mon sommeil, je pensais qu’elle vivait auprès de moi et cette idée me consolait. C’est pour cela que je n’ai jamais eu peur dans l’obscurité ; souvent même, dans le jour, il m’arrive de la voir et de l’entendre chanter.

Mirah s’arrêta un moment, sa figure exprima une satis-