Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/235

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sachet autour du cou, comme un préservatif contre la crampe, et Amy récite la table de multiplication en son nom. Maintenant, nous ferons quelque chose d’extra en son honneur, de ce qu’il vous a amenée chez nous.

— Je le crois trop grand personnage pour avoir besoin de quelque chose, dit Mirah en souriant. Il est probablement haut placé dans le monde.

— Il est d’un rang beaucoup plus élevé que le nôtre, répondit Amy ; il tient au grand monde.

— Je suis heureuse qu’il soit de haut rang, reprit Mirah avec sa placidité habituelle.

— Pourquoi cela ? demanda Amy, qui, dans ce sentiment, crut découvrir certaines particularités juives qui ne s’étaient pas encore fait jour.

— Parce que j’ai toujours détesté les hommes de haut rang.

— Oh ! M. Deronda n’est pas d’un rang si élevé, dit Kate. Ce n’est pas lui qui serait scandalisé que nous pensions désavantageusement de tous les pairs et les baronnets, si l’envie nous en prenait.

Quand Daniel entra, Mirah se leva et l’accueillit avec le même regard reconnaissant que celui de la veille quand il l’avait quittée. Impossible de voir une créature à la fois moins embarrassée et moins fière. Son éducation théâtrale n’avait pas laissé la moindre trace sur elle ; elle avait grandi dans la simplicité et dans la vérité. Deronda comprit qu’elle était quelque chose de tout à fait nouveau pour lui, car la naïveté de Mirah était d’autant plus admirable qu’elle n’avait rien de commun avec l’ignorance ; personne ne connaissait mieux qu’elle le mal et la douleur. Il la regardait et l’écoutait, comme si elle arrivait d’un pays lointain habité par une race différente de la nôtre.

Il ne fit qu’une courte visite ; sa délicatesse lui disait de reculer devant tout ce qui pourrait ressembler à de la