Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/331

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Gwendolen, qui était vivement tentée de lui dire qu’elle soupçonnait bien où il allait ; mais, malgré sa forte envie de se soulager en lui parlant à cœur ouvert, elle n’en eut pas le courage.

— Pardon, elle servirait à quelque chose, objecta Grandcourt en enveloppant ses mains dans les siennes ; je ne partirais pas. Mais je voyagerai de nuit pour n’être absent qu’un jour. — Il crut deviner le motif qui l’agitait et en ce moment elle lui plut extraordinairement.

— Partez donc, mais voyagez de nuit, fit-elle avec une insouciance hautaine. — Elle était si absorbée dans ses pensées qu’elle ne s’aperçut pas qu’il tenait sa main.

— Comme vous traitez ces pauvres hommes ! dit Grandcourt à voix basse. C’est toujours nous qui avons le dessous.

— Est-ce vrai ? s’écria-t-elle en le regardant d’un air plus naïf que d’habitude. — Elle avait bien envie de croire que ce badinage était une vérité ; en ce cas, elle aurait été justifiée à ses propres yeux, et sans doute elle apprendrait une chose qui rendrait madame Glasher plus blâmable que Grandcourt. Avez-vous toujours eu le dessous ?

— Oui. Êtes-vous aussi bonne pour moi que je le suis pour vous ?

Elle rougit. Elle se dit que son consentement au mariage lui avait enlevé le droit de s’expliquer. Tout ce qui lui restait à faire était de s’arranger de façon que les piqûres de sa conscience ne la blessassent pas trop. Elle le regarda en souriant, et dit :

— Si j’étais aussi bonne pour vous que vous l’êtes pour moi, cela ferait tort à votre générosité ; elle ne serait plus aussi grande qu’elle peut l’être, et qu’elle l’est maintenant.

— Alors, je ne dois pas même demander un baiser ?

— Pas un ! s’écria-t-elle d’un ton impertinent et en le défiant par un mouvement de tête hautain.