Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/336

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plaisanterie ? M. Deronda a-t-il vraiment gâté ton jeu, Gwen ?

— Oh ! il est tout bonnement venu le regarder quand j’ai commencé à perdre, dit Gwendolen avec insouciance, et je l’ai remarqué.

— Cela ne m’étonne pas. C’est un remarquable jeune homme. On devine qu’il a du sang étranger dans les veines.

— Est-ce vrai ? demanda Gwendolen.

— C’est madame Torrington qui le dit. Je lui avais demandé qui il était ; elle m’a répondu que sa mère était une étrangère de haut rang.

— Sa mère ! fit Gwendolen brusquement. Qui donc est son père ?

— Mais… on dit qu’il est le fils de sir Hugo Mallinger, qui l’a élevé, bien qu’il passe pour son pupille. M. Torrington prétend que, si sir Hugo avait pu disposer de son héritage à son idée, il l’aurait laissé à ce M. Deronda, parce qu’il n’a pas de fils légitime.

Gwendolen demeura silencieuse ; un changement si marqué se manifesta sur ses traits, que sa mère regretta de lui avoir répété les commérages de madame Torrington. L’image de cette mère inconnue se leva aussitôt dans l’imagination de Gwendolen. C’était sans doute une femme aux yeux noirs, tristes ; ce genre de beauté fanée avait pris possession de sa conscience. La nuit, pendant qu’une faible lumière éclairait la chambre où elle couchait avec sa mère, elle dit :

— Maman, les hommes ont-ils généralement des enfants avant de se marier ?

— Non, ma chérie. Pourquoi me fais-tu cette question-là ?

— Si cela était, je voudrais le savoir, s’écria Gwendolen avec indignation.

— Tu penses à ce que je t’ai dit de M. Deronda et de sir Hugo Mallinger. C’est un cas bien rare.