Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/337

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— Lady Mallinger le sait-elle ?

— Elle n’en sait que ce qu’il faut pour être satisfaite. C’est parfaitement clair, puisque M. Deronda a vécu avec eux.

— Et personne n’en pense de mal ?

— C’est naturellement désavantageux pour lui, car ce n’est pas comme s’il était le fils de lady Mallinger. Il n’héritera pas de la fortune et n’aura aucune importance dans le monde. Mais on n’est pas obligé de rien savoir sur sa naissance ; tu vois qu’il est bien accueilli partout.

— Je me demande s’il en sait quelque chose et s’il en veut à son père ?

— Pourquoi penses-tu cela, ma chère enfant ?

— Pourquoi ? s’écria impétueusement Gwendolen en se redressant sur son lit. Les enfants n’ont-ils pas raison d’en vouloir à leurs parents ? Comment pourraient-ils les empêcher de se marier ou non ?

Mais une sensation interne la fit retomber sur son oreiller. Ce n’était pas celle qu’elle avait éprouvée quelques mois plus tôt, lorsqu’elle semblait reprocher à sa mère son second mariage : non ! ce qu’elle ressentait maintenant, c’était comme une condamnation d’elle-même, qui semblait faire de son mariage une chose défendue.

Le matin venu, elle fut agitée par une double surexcitation. Elle allait chasser pour la première fois depuis son escapade avec Rex, et elle allait revoir Deronda, qui, depuis la nuit dernière, avait singulièrement éveillé son intérêt, et dans les traits duquel elle espérait découvrir quelque chose qui lui avait échappé d’abord. Ce qu’elle venait d’apprendre sur lui le mettait, à son avis, dans la même catégorie que madame Glasher et ses enfants. Connaissait-il madame Glasher ? S’il savait qu’elle fût instruite de tout, il la mépriserait ; mais il ne pouvait le savoir ; la mépriserait-il à cause de son mariage avec Grandcourt ? Elle se raidissait contre cette pensée en disant : « Comment pour-