Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/85

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même chose ; ce sont toujours des épaules. Si vous voulez vous fier à moi et prendre votre courage à deux mains, je vais vous arranger cela à l’instant.

— Viens donc, camarade ! répondit Rex qui pouvait reprendre son courage plus facilement qu’il n’aurait repris son assiette sur la selle.

Joel fit l’opération, non sans une douleur considérable pour son patient, qui devint si pâle en prenant « son courage à deux mains », que Joel lui dit ;

— Ah ! monsieur, on voit bien que vous n’en avez pas l’habitude ! Mais il faut que ce soit comme cela. J’ai vu toute sorte de membres disloqués, moi qui vous parle. J’ai vu un homme dont l’œil sortait de la tête. C’était la plus drôle de chose que l’on puisse voir ! Pas moyen d’avoir du plaisir sans ça. Moi-même, j’ai avalé trois de mes dents, aussi vrai que j’existe. — Maintenant, mon gaillard, dit-il en s’adressant à Primrose, arrive. Ah ! mais il ne faut pas me faire croire que tu ne peux pas !

Nous ne parlerons pas davantage de Joel, qui aida Rex à regagner la maison paternelle aussi promptement que possible. Rex n’avait pas autre chose à faire, quoiqu’il fût inquiet de Gwendolen, à laquelle aussi pouvait arriver un accident. Cette idée et celle de l’ennui qu’il allait causer à son père, lui firent plus de mal encore que ses contusions. En réfléchissant, il se sentit plus tranquillisé, car il savait que chacun s’empresserait de veiller sur Gwendolen et qu’assurément l’un de ces messieurs la reconduirait chez sa mère.

M. Gascoigne, déjà revenu de son excursion, écrivait des lettres dans son cabinet, quand Rex, la figure non moins belle ni moins intéressante pour être pâle et triste, vint se placer devant lui. Bien qu’il fût le fils de prédilection, le vrai portrait de son père, celui-ci ne montrait pour lui aucune partialité ; il le traitait même assez sévèrement.