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Page:Eliot - La Conversion de Jeanne.djvu/162

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SCÈNES DE LA VIE DU CLERGÉ

ment sur elle les mois chargés de nouveaux chagrins, en passant de l’été à l’automne, de l’automne à l’hiver et de l’hiver au printemps. Chaque matinée fiévreuse, avec sa monotonie et son désespoir, paraissait plus horrible que la précédente, chaque retour de la nuit impossible à braver sans s’armer d’une stupeur de plomb. La lumière du matin ne lui apportait point de joie ; elle ne faisait que jeter de l’éclat sur ce qui était arrivé à la triste lueur de la lampe — sur l’homme cruel imperturbablement assis, avec l’obstination de l’ivresse, devant un feu éteint et des lumières mourantes, dans la chambre à manger, la tourmentant d’un ton dur, revenant sur d’anciens reproches — ou sur quelque chose dont elle ne se souvenait pas — ce quelque chose qui devait avoir laissé sur ses épaules les noires meurtrissures dont elle souffrait en s’habillant.

Êtes-vous étonné de ce que les choses en fussent venues là ? voudriez-vous savoir quelle faute Jeanne avait commise dans les premières années de son mariage pour exciter la haine brutale de cet homme ? Les semences des choses sont bien petites ; les heures qui s’étendent entre le lever du soleil et l’obscurité de minuit sont parcourues par les indications les plus minimes de la pendule ; et Jeanne, regardant les quinze dernières années de sa vie de femme mariée, savait à peine comment cette source de malheur avait commencé, savait à peine quand l’amour et