Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/102

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un Bruce ou un Mungo-Park, dit M. Brooke, Moi aussi, j’ai eu cela dans ma jeunesse.

— Non, il n’a de goût ni pour l’exploration ni pour le développement de notre géognosie ; si c’était chez lui un goût bien prononcé, je pourrais l’approuver, sans toutefois le féliciter, de choisir une carrière qui se termine si souvent par une mort violente ou prématurée. Mais il est si éloigné d’aspirer à une connaissance plus parfaite de notre surface terrestre, qu’il préférerait, dit-il, ne pas connaître les sources du Nil et qu’il existât encore certaines régions inconnues réservées comme des terrains de chasse à l’imagination poétique.

— Eh bien, il y a du vrai là dedans, vous savez, dit M. Brooke qui, certainement, avait l’esprit impartial.

— Je l’attribuerais plutôt à l’instabilité de son caractère, toujours opposé à la perfectibilité en toutes choses, ce qui serait de mauvais augure pour lui dans n’importe quelle profession, laïque ou sacrée, à supposer qu’il veuille se soumettre à la règle ordinaire au point d’en choisir une.

— Peut-être a-t-il des scrupules fondés sur son inaptitude, dit Dorothée qui s’attachait à trouver une explication favorable. Le droit et la médecine sont des professions sérieuses, n’est-il pas vrai, puisque la vie et la fortune de nos semblables en dépendent ?

— Sans doute ; mais je crains que mon jeune parent Will Ladislaw ne soit rebelle à ces sortes de carrières par l’aversion qu’il a de toute application continue et de ces connaissances exactes qui en sont l’indispensable instrument, mais qui ne sauraient flatter des goûts indépendants ni fixer un esprit indulgent à soi-même ! Je lui répète souvent ce qu’Aristote a établi avec une si admirable concision, c’est-à-dire que l’accomplissement d’un travail quelconque, pris pour but, réclame d’abord l’exercice de beaucoup d’énergies ou de capacités acquises d’un ordre secondaire, exercice qui