Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savait même si bien se faire un caractère de convention qu’elle ignorait si ce n’était pas vraiment le sien.

— La meilleure musicienne de Middlemarch, je le parierais, dit M. Featherstone, quelle que soit d’ailleurs la seconde. Eh ! Fred ! parlez pour votre sœur.

— Je crains d’être ici hors de cause, monsieur. Mon témoignage ne prouverait rien.

— Middlemarch n’a pas un idéal de musique très élevé, mon oncle, dit Rosemonde avec une gracieuse insouciance, allant prendre sa cravache qui était posée un peu plus loin.

Lydgate fut prompt à la devancer ; s’emparant le premier de la cravache, il s’avança pour la lui présenter. Elle s’inclina et le regarda. Il la regardait aussi, leurs yeux se rencontrèrent de cette façon toute particulière à laquelle l’effort n’atteint jamais, et qui semble une soudaine et divine éclaircie au milieu d’un brouillard. Je crois bien que Lydgate pâlit un peu, mais Rosemonde rougit visiblement et éprouva une sorte de surprise. Puis elle se sentit réellement très pressée de partir, et, tout en prenant congé de son oncle, elle ne comprit pas quelles stupidités il lui débitait.

En attendant, ce résultat qu’elle considérait comme significatif de part et d’autre, et qui veut dire « tomber amoureux », était précisément ce que Rosemonde avait prévu et souhaité. Depuis l’importante arrivée de Lydgate à Middlemarch, elle avait tissé tout un petit roman d’avenir dont le début obligatoire ressemblait assez à la scène qui venait d’avoir lieu. Les étrangers ont toujours le prestige de l’imprévu aux yeux des jeunes filles dont l’esprit est blasé sur le mérite de ceux qui les entourent, que ces étrangers apparaissent comme de pauvres naufragés échappés à la tempête, ou comme des personnages de marque, accompagnés d’un bagage respectable. Et il fallait un étranger au roman sentimental de Rosemonde, un amoureux et un fiancé