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convaincu que le jeune Vincy avait des ressources cachées, n’était pas inquiet de son argent ; mais il avait exigé une reconnaissance, et Fred avait commencé par lui signer un billet. Trois mois plus tard, il avait renouvelé le billet avec la signature de Caleb Garth. Fred, dans les deux occasions, avait agi avec la conviction qu’il pourrait acquitter lui-même son billet, disposant en imagination et en espérance de fonds considérables.

Fred ne pouvait manquer de recevoir un présent de son oncle, une bonne veine lui viendrait, d’échange en échange il arriverait, la chose était certaine, à métamorphoser un cheval de quarante livres en un autre qui en vaudrait tôt ou tard une centaine. Et, dans tous les cas, en admettant même des échecs qu’une défiance ridicule pouvait seule imaginer, Fred avait toujours (à cette époque) la poche de son père comme dernière ressource. Il avait donc en abondance et même en superflu de quoi espérer. Fred n’avait qu’une notion assez vague de la capacité de la bourse paternelle.

Les Vincy menaient une vie large, prodigue sans ostentation, conforme aux traditions de la famille, et n’avaient jamais donné l’exemple de l’économie à leurs enfants. M. Vincy personnellement avait des habitudes dispendieuses : chasses à courre, bons vins dans sa cave, grands dîners, tandis que maman avait avec les fournisseurs ces petits comptes courants qui vous donnent le plaisir d’acheter tout ce qui vous plaît sans souci du payement immédiat. Mais c’était le rôle des pères, Fred le savait, de gronder les enfants de leurs dépenses ; l’aveu de chacune de ses dettes amenait une petite tempête contre son extravagance et Fred n’aimait pas les gros temps à la maison. Il était trop bon fils pour manquer de respect à son père, aussi supportait-il l’orage avec la certitude qu’il n’était que passager ; mais il lui était pénible de voir pendant ce temps pleurer sa mère,