Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/304

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Tout en parlant, Fred avait sorti les billets de sa poche et les étalait sur le pupitre devant M. Garth. Se sentant ému comme un enfant, il avait débité la chose telle qu’elle était, tout d’une haleine, sans circonlocutions. Mistress Garth, muette d’étonnement, regardait son mari comme pour lui demander une explication. Caleb rougit et dit après une courte pause :

— Oh ! je ne vous l’avais pas dit, Suzanne. J’ai mis ma signature sur un billet de cent soixante livres à payer par Fred. Il était sûr de pouvoir l’acquitter lui-même.

Il se produisit un changement visible sur le visage de mistress Garth, mais ce fut comme un changement qui s’opérerait au-dessous de la surface d’une eau calme et unie. Fixant les yeux sur Fred :

— Je suppose, dit-elle, que vous avez demandé le reste de la somme à votre père et qu’il vous a refusé.

— Non, répondit Fred en se mordant les lèvres et en s’exprimant avec plus de difficulté. Mais je sais que cela ne servirait à rien de le lui demander et, à moins de nécessité absolue, je préférerais qu’il ne fût pas question en cette affaire du nom de M. Garth.

— Cela tombe à un mauvais moment, dit Caleb, de sa façon hésitante, en regardant les billets épars devant lui, et en les ramassant nerveusement. Nous voici presque à Noël, je suis malheureusement assez à court pour le quart d’heure. Vous savez, je suis obligé de tailler toutes choses à la plus petite mesure possible, comme un tailleur. Que pouvons-nous faire, Suzanne ? Il faudra que je prenne, jusqu’au dernier centime, ce que nous avons à la Banque. C’est cent dix livres qu’il faut, le diable les emporte !

— Je vous donnerai les quatre-vingt-douze livres que j’avais mises de côté pour l’apprentissage d’Alfred, dit mistress Garth avec fermeté, bien qu’une oreille subtile eût pu distinguer un léger tremblement dans le son de sa voix