Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/312

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de son argent, dit-il quand Mary fut assise et en train de coudre avec rapidité. Je voulais vous demander, Mary… ne croyez-vous pas que M. Featherstone… si vous lui disiez… je veux dire si vous lui parliez de l’apprentissage d’Alfred… vous avancerait l’argent ?…

— Ma famille n’est pas habituée à mendier, Fred ; nous aimons mieux travailler pour gagner notre vie. D’ailleurs, vous me dites que M. Featherstone vous a donné dernièrement une centaine de livres. Il fait bien rarement des cadeaux. Il ne nous en a jamais fait, à nous. Je suis sûre que mon père ne voudrait pas lui demander la moindre chose, et quand même je me déciderais à m’adresser à lui, cela ne servirait à rien.

— Je suis si malheureux, Mary ! Si vous saviez combien je suis malheureux, vous en auriez de la peine pour moi.

— Il y a tant d’autres choses dont on devrait s’affliger avant celle-là. Mais les égoïstes ne pensent pas qu’il y ait rien de plus important au monde que leur propre désagrément. Je vois assez cela tous les jours.

— Vous êtes bien dure de m’appeler égoïste ; si vous saviez comment se comportent certains jeunes gens, vous ne me traiteriez pas avec autant de sévérité.

— Ce que je sais, moi, c’est que les gens qui dépensent beaucoup pour leurs plaisirs, sans savoir comment ils payeront, sont des égoïstes. Ce qui les intéresse, c’est ce qu’ils pourront se donner à eux-mêmes et non ce qu’ils feront perdre à d’autres.

— Tout le monde peut être malheureux, Mary, et se trouver incapable de payer au moment voulu. Il n’y a pas au monde un meilleur homme que votre père, et pourtant il s’est déjà trouvé dans des embarras d’argent.

— Comment osez-vous faire une comparaison entre mon père et vous, Fred ? dit Mary avec un accent de profonde indignation. S’il s’est jamais trouvé dans des embarras