Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/338

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propre ? Jamais peut-être de la façon dont elle les avait préconçus, mais de quelque façon pourtant.

En attendant, c’était la neige, et une voûte basse de vapeurs grises. C’était cette oppression écrasante d’une vie de femme riche, où tout se faisait pour elle et où personne ne demandait son aide, où elle devait péniblement garder comme une pure vision intérieure le sentiment d’une existence utile et multipliée, au lieu de recevoir du dehors les appels qui eussent donné un emploi à ses fortes aspirations. « — Que ferai-je ? — Tout ce que vous voudrez, ma chère ! » — Telle avait été sa courte histoire, depuis qu’elle avait cessé d’apprendre ses leçons le matin et d’étudier d’ineptes mélodies sur le piano abhorré. Le mariage, qui devait lui indiquer une direction sérieuse dans des occupations utiles et obligées, ne l’avait pas encore délivrée de l’oppressive liberté qui pèse sur la femme du monde ; il n’avait même pas rempli ses loisirs de la joie absorbante d’une tendresse sans contrainte. Sa florissante jeunesse était là dans un emprisonnement moral qui ne faisait qu’un avec le paysage glacial, incolore, borné, avec l’ameublement pâli, les livres toujours fermés et le cerf spectral dans son monde éteint et fantastique.

Pendant les premières minutes que Dorothée regarda au dehors, elle ne sentit que l’oppression morne des choses extérieures ; puis un douloureux souvenir lui revint, et, s’éloignant de la fenêtre, elle se mit à marcher par la chambre. Les pensées et les espérances qui peuplaient son âme la première fois qu’elle y était entrée, trois mois auparavant, n’existaient plus maintenant qu’à l’état de souvenirs : elle les jugeait comme nous jugeons des choses passées et fugitives.

Tous les souvenirs qu’elle en avait gardés étaient désenchantés, morts, comme un transparent qui n’est pas éclairé. Son regard errant alla enfin tomber sur le groupe des