Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/352

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que personne d’autre n’eût voulu de lui. Croyez-vous que d’autres eussent voulu de lui ?

— J’ai toujours vu dans ce mariage un horrible sacrifice de la vie de votre sœur, dit sir James.

— Oui, mais la pauvre Dodo n’a jamais fait ce que font les autres, et je crois qu’elle ne le fera jamais.

— C’est une noble créature, dit le brave et loyal sir James. Il venait d’en avoir une nouvelle impression, quand il avait vu Dorothée passer son bras avec tendresse sous celui de son mari et tourner vers lui un regard empreint d’une inexprimable douleur. Il ne savait pas combien il entrait de repentir dans cette douleur.

— Oui, dit Célia, trouvant que c’était très bien à sir James de parler ainsi, mais faisant la réflexion qu’il n’aurait pas eu, lui, une vie très confortable avec Dodo. Dois-je aller la trouver ? Pensez-vous que je puisse lui être bonne à quelque chose ?

— Je crois que vous feriez bien d’aller la voir un instant, avant l’arrivée de Lydgate, dit sir James avec magnanimité. Mais n’y restez pas trop longtemps.

Après le départ de Célia, il se promena de long en large, en se rappelant ce qu’il avait éprouvé tout de suite lors des fiançailles de Dorothée, et ressentant comme un retour de son dégoût d’alors devant l’apathie de M. Brooke. Si Cadwallader, si tout le monde avait envisagé la chose comme lui, sir James, l’avait fait, on aurait pu empêcher le mariage. C’était mal de laisser ainsi une jeune fille disposer en aveugle de sa destinée, sans rien faire pour la sauver. Sir James avait cessé depuis longtemps de ressentir des regrets pour son compte : son cœur était satisfait de son engagement avec Célia. Mais il était d’une nature chevaleresque ; son amour dédaigné n’avait pas tourné à l’amertume : la mort en avait laissé derrière elle de doux parfums, des souvenirs flottants qui s’attachaient à Dorothée comme