Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/51

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— Voilà ce que c’est, voyez-vous ! On ne peut jamais rien dire d’avance. J’aurais cru que Chettam était précisément le genre d’homme qui plairait à une femme.

— Ne me le présentez plus sous cet aspect, je vous prie, mon oncle, dit Dorothée, sentant renaître sa première irritation.

M. Brooke était tout étonné.

Les femmes, pensa-t-il, sont un sujet d’étude inépuisable. Croirait-on qu’à mon âge je ne puisse encore avancer à coup sûr en ce qui les concerne aucune prévision basée sur la science ! Voilà un beau gentilhomme comme Chettam sans aucune chance de plaire !

— Mais revenons à Casaubon ; rien ne presse… pour vous s’entend ; pour lui, il est bien certain que, chaque année, le marquera davantage. Il a plus de quarante ans, vous savez. Il est plus vieux que vous de vingt-sept ans comptés. Mais nous ne pouvons tout exiger non plus : si vous aimez l’étude, le travail, et autres choses du même genre !… Et enfin son revenu est bon. Il a une jolie propriété indépendamment de son église. Oui, son revenu est bon ; mais il n’est pas jeune, et je ne vous le cacherai pas, ma chère, sa santé n’est pas des plus fortes. Je ne sais rien de plus d’ailleurs qui soit contre lui.

— Je ne désire pas que mon mari soit d’un âge si rapproché du mien, dit Dorothée d’un ton de grave décision. Je désire surtout qu’il me soit supérieur en jugement et en savoir !

M. Brooke répéta encore son « Ah ! » d’acquiescement, et continua :

— Je croyais que vous aviez sur toute chose une opinion plus arrêtée que la plupart des jeunes filles. Je croyais que vous teniez à votre opinion, vous savez.

— Je ne croirais pas pouvoir vivre si je n’avais des opinions à moi ; mais je voudrais avoir de bonnes raisons de les con-