Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/59

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vrage, ce qu’elle était toujours la première à faire, Dorothée, assise auprès d’elle sur un tabouret bas, et tout absorbée dans sa méditation, lui dit de sa voix musicale qui, dans les moments d’émotion à la fois profonde et calme, donnait à sa parole le timbre d’un beau récitatif :

— Célia, ma chère, viens m’embrasser.

Et elle lui ouvrit ses bras.

Célia s’agenouilla pour être à sa hauteur et lui donna son léger baiser de papillon, tandis que Dorothée, l’entourant doucement, appuyait ses lèvres sur chacune des joues de sa sœur.

— Ne veille pas ce soir, Dodo, tu es si pâle ! couche-toi bien vite, dit Célia de son ton réconfortant et sans ombre d’attendrissement.

— Non, chérie, je suis bien, bien heureuse, dit Dorothée avec ferveur.

Tant mieux ! pensa Célia ; mais comme Dodo passe rapidement d’un extrême à l’autre !

Le lendemain, au lunch, le domestique dit à M. Brooke, en lui remettant quelque chose :

— Jonas est revenu, monsieur, et il a rapporté cette lettre.

M. Brooke l’ouvrit, puis, se tournant vers Dorothée avec de petits signes de tête

— C’est de Casaubon, ma chère ; il sera ici pour le dîner, il a répondu tout de suite, tout de suite, vous savez.

Célia ne pouvait s’étonner qu’on annonçât à l’avance à sa sœur un hôte pour le dîner. Mais, ses yeux suivant la même direction que ceux de son oncle, elle fut frappée de l’effet particulier qu’avaient produit ces paroles sur Dorothée. On eût dit que le reflet d’une aile blanche et lumineuse venait de passer sur ses traits, laissant après elle une de ces rougeurs confuses qu’on y voyait si rarement. Pour la première fois, l’idée vint à Célia qu’il pourrait bien y avoir entre