Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/60

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Dorothée et M. Casaubon quelque chose de plus que le plaisir qu’elle prenait à ses conversations savantes. Elle avait jusqu’ici classé l’admiration de sa sœur pour cet hôte laid et savant dans la même catégorie que son admiration d’autrefois pour M. Liret, de Lausanne, également laid et savant. Dorothée ne s’était jamais lassée de prêter l’oreille aux discours du vieux M. Liret, au lieu que Célia, assise auprès d’elle, se sentait les pieds absolument gelés, et trouvait atroce de regarder toujours son crâne chauve s’agiter dans tous les sens. Pourquoi son enthousiasme pour M. Casaubon serait-il d’une autre nature ? Et, en ce qui concernait Casaubon, il ne devait, comme tous les savants, regarder la jeunesse qu’avec des yeux de maître d’école. Cette fois, pourtant, elle tressaillit et le soupçon pénétra dans son cœur ; elle était rarement prise à l’improviste de cette façon ; sa rapidité à observer certaines choses la préparait généralement aux événements extérieurs qui pouvaient l’intéresser. Ce n’est pas qu’elle imaginât, qu’à ce moment déjà, M. Casaubon fût un prétendant accepté ; mais elle ne put se défendre d’une sorte de dégoût à la pensée que Dorothée aspirât à un pareil dénouement ! C’était vraiment à se fâcher contre Dodo : qu’elle refusât sir James Chettam, cela se comprenait, soit ! Mais qu’elle eût l’idée d’épouser M. Casaubon ! Le ridicule d’une telle idée la remplit d’une sorte de honte ! Mais peut-être y aurait-il encore moyen de dissuader Dodo de cette extravagance, s’il était vrai qu’elle fût sur le point de la commettre.

Célia savait par expérience qu’il fallait tenir compte de l’impressionnabilité de sa sœur. Le jour était brumeux et comme elles ne pouvaient se promener, elles montèrent toutes deux dans leur petit salon. Célia remarqua que Dorothée, au lieu de se mettre à une occupation quelconque avec son ardeur et son intérêt ordinaires, demeurait le coude appuyé sur son livre ouvert, regardant par la fenêtre le grand cèdre argenté par la brume.