Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque chose de pire qu’un cauchemar, parce qu’ils donnaient la certitude qu’il ne agissait pas d’un cauchemar, mais d’une souffrance réelle à endurer. Bien éveillé, M. Bulstrode sentait son cœur se soulever en frissonnant, il ne parlait pas, se demandant s’il ne laisserait pas Raffles agir comme il lui plairait, et ne le mettrait pas au défi comme un simple calomniateur. Le personnage ne tarderait pas à se faire voir sous un assez vilain jour, pour qu’on n’accordât plus crédit à ses propos. « Mais non pas quand il révélera sur ton compte quelque affreuse vérité », souffla sa conscience judicieuse.

Comme M. Bulstrode se taisait, Raffles continua tout d’une haleine pour mettre mieux le temps à profit :

— Je n’ai pas eu une belle chance comme la vôtre, par Jupiter ! Les choses ont furieusement mal marché pour moi à New-York ; ces Yankees ont les mains froides, et un homme qui a des sentiments de gentleman n’a pas de chances avec eux. À mon retour, je me suis marié avec une gentille femme dans le commerce du tabac, — très éprise de moi, — mais le commerce n’allait pas, comme on dit. Un ami l’avait établie là depuis pas mal d’années ; mais il y avait un fils qui était de trop dans la circonstance. Josh et moi nous ne nous sommes jamais bien entendus. J’ai cependant tiré de la situation le meilleur parti possible et j’ai toujours vidé mon verre en bonne compagnie. J’ai toujours été un homme carré ; je suis aussi franc que le jour. Vous ne prendrez pas en mal que je n’aie pas cherché à vous découvrir plus tôt ; je vous croyais encore à Londres à trafiquer et à prier, et je ne vous y ai pas trouvé. Mais, voyez-vous, si j’ai été conduit vers vous, Nick, peut-être est-ce une bénédiction pour nous deux.

Bulstrode, pendant qu’il parlait, avait pris son parti ; il lui répondit avec une émotion contenue :

— Vous ferez bien de réfléchir, monsieur Raffles, qu’un