Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/161

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me trouver demain au bureau à neuf heures, au bureau, n’oubliez pas !

M. Garth ne faisait jamais aucune démarche importante sans consulter Suzanne, mais pour cette fois, il faut l’avouer, avant d’avoir atteint la maison, il avait déjà pris son parti. Sur une foule de points où les autres montrent de la décision ou de l’entêtement, il était l’homme le plus facile du monde à diriger. Il ne savait jamais quel plat choisir, et si Suzanne lui avait dit qu’ils devaient aller vivre dans une chaumière de quatre pièces, afin de faire des économies, il eût répondu : « Allons-y, » sans demander d’explications. Mais lorsque le jugement et le sentiment de Caleb s’étaient prononcés avec fermeté, c’était lui qui était le maître ; et en dépit de sa douceur et de sa timidité à reprendre les autres, tout le monde autour de lui savait que, dans les occasions exceptionnelles où il décidait, il était absolu. Quand il se résolvait, il est vrai, à être absolu, ce n’était jamais que quand il s’agissait d’un autre. Dans quatre-vingt-dix-neuf cas, c’était mistress Garth qui décidait, mais sur le centième, elle sentait souvent qu’elle aurait à accomplir la tâche singulièrement difficile de rester fidèle à son principe et de se soumettre.

— Tout est arrivé comme je le pensais, Suzanne, dit Caleb quand ils se trouvèrent seuls dans la soirée. Il avait déjà raconté l’aventure qui avait amené Fred à partager son travail de la journée, mais il avait gardé par devers lui la suite de l’histoire. Les enfants s’aiment, je veux dire Fred et Mary.

Mistress Garth posa son ouvrage sur ses genoux et fixa avec anxiété un regard pénétrant sur son mari.

— Quand notre travail a été terminé, Fred m’a tout avoué. Il ne peut se résigner à être clergyman, et Mary dit qu’elle ne l’acceptera pas, s’il le devient ; le pauvre garçon aimerait à travailler avec moi et à entrer dans les affaires. Et j’ai résolu de le prendre et d’en faire un homme.