Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/176

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Mary aurait pu faire un mariage excellent sous tous les rapports. Il était fâché aussi d’avoir été ce qu’il appelait un assez stupide benêt pour demander l’intervention de M. Farebrother. Mais il était dans la nature de Fred comme dans celle de tout amoureux de se préoccuper des sentiments de Mary plus que de tout le reste. En dépit de sa confiance dans la générosité de M. Farebrother, en dépit du langage de Mary, Fred ne pouvait s’empêcher de sentir qu’il avait un rival ; c’était une impression nouvelle, et il ne l’acceptait pas, il n’était pas le moins du monde disposé à renoncer à Mary, fût-ce pour son avantage à elle, mais au contraire disposé pour l’obtenir à lutter avec n’importe quel homme. Mais une lutte avec M. Farebrother ne pouvait s’entendre qu’au sens métaphorique, beaucoup moins favorable à Fred qu’une lutte du genre musculaire. Cette épreuve était pour lui une leçon de mortification presque aussi dure que son désappointement à propos du testament de son oncle. Le fer n’était pas plutôt entré dans son cœur qu’il sentait déjà quel en serait le côté tranchant. Fred n’eut pas un instant l’idée que mistress Garth pût se tromper pour M. Farebrother, mais il soupçonna qu’elle pouvait bien se tromper pour Mary. Mary, ces derniers temps, avait habité le presbytère, et sa mère savait sans doute assez mal ce qui s’était passé dans son cœur.

Il ne se trouva pas plus tranquillisé quand il la vit gaiement assise dans le salon de Lowick avec les trois dames. Elles étaient engagées dans une conversation fort animée qu’on interrompit à son entrée. Mary copiait de sa bonne et fine écriture des étiquettes pour une quantité de petits tiroirs. Le vicaire était au village, les trois dames ignoraient absolument les liens particuliers qui unissaient Fred et Mary ; il n’était donc guère probable qu’aucune d’elles leur proposât d’aller faire ensemble un tour de jardin, et Fred prévit tout de suite qu’il serait obligé de s’en aller sans avoir dit un