Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/190

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qui n’est que trop évidemment possible entre deux êtres pensant continuellement l’un à l’autre. À Lydgate, il semblait qu’il avait passé des mois et des mois à sacrifier plus de la moitié du meilleur de ses efforts et de son énergie à sa tendresse pour Rosemonde, supportant sans impatience ses petites prétentions et le dérangement qu’elle lui occasionnait souvent. Enfin, et par-dessus tout, il en arrivait, sans trahir pour cela d’amertume, à considérer avec de moins en moins d’illusion la surface vide et sans reflet que l’esprit de Rosemonde présentait à son ardeur à lui pour les buts plus impersonnels de sa profession et pour ses travaux scientifiques. Mais à sa patience d’endurer se mêlait un certain mécontentement de soi-même qui, nous devons l’avouer pour être parfaitement sincère, entre pour une grande part dans notre amertume en face des chagrins de la vie, qu’il s’agisse de la femme ou du mari. Il reste toujours vrai que, si nous avions été plus forts, les circonstances auraient eu moins de prise sur nous. Lydgate sentait que ses concessions à Rosemonde n’étaient souvent pas autre chose que l’abattement d’une résolution qui faiblit, ou la paralysie insidieuse qui saisit parfois le plus noble enthousiasme. Et ce n’était pas le seul poids du chagrin qui pesait sur l’enthousiasme de Lydgate, c’était aussi la présence aiguë d’un de ces mesquins et humiliants soucis qui jettent ironiquement la flétrissure sur les efforts les plus élevés.

Il s’était abstenu jusqu’ici de se confier à Rosemonde, et il croyait, tout en s’en étonnant, qu’elle n’avait encore rien soupçonné, bien que certainement aucune difficulté ne fût moins mystérieuse que celle-là. C’était une conséquence claire comme le jour des dettes de Lydgate, et elle n’avait pas échappé à des observateurs indifférents. Il ne pouvait se débarrasser de cette pensée, que chaque jour il enfonçait plus profondément dans ce marais vers lequel les hommes