Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/197

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reportant dans le passé au souvenir de Laure, pendant qu’il regardait Rosemonde, il se dit : « Et elle, me tuerait-elle parce que je l’ai contrariée ? C’est bien ainsi avec toutes les femmes. »

Mais à ce pouvoir de généraliser, qui donne aux hommes tant de supériorité en matière d’erreurs sur les animaux muets, vint aussitôt s’opposer le souvenir de l’impression extraordinaire que Lydgate avait conservée de la conduite d’une autre femme, des regards et des accents d’émotion de Dorothée, quand Lydgate avait commencé à donner des soins à son mari ; son cri passionné de savoir ce qui serait le plus doux à l’homme pour l’amour duquel elle semblait avoir étouffé en elle toute impulsion de son cœur autre que des élans de fidélité et de compassion. Ces impressions ravivées passèrent rapides et flottantes dans l’esprit de Lydgate tandis que Rosemonde préparait le thé. Il avait fermé les yeux pendant cet instant de rêverie, croyant encore entendre Dorothée lui dire : « Conseillez-moi, pensez à ce que je puis faire. Il a travaillé toute sa vie en vue de cet unique but, il ne se soucie pas d’autre chose, et moi je n’ai non plus souci d’autre chose. »

Cette voix d’une femme à l’âme profonde était entrée dans son cœur comme les conceptions de flamme du génie disparu et consacré, et elle y régnait aussi souverainement. (N’y a-t-il pas en effet un génie des nobles sentiments qui règne sur l’esprit humain et sur ses conclusions ?) Les accents de cette voix étaient comme une musique dont il fut arraché ainsi que de l’assoupissement où il venait de tomber, par la voix claire de Rosemonde, lui disant de son accent impassible :

— Voilà votre thé, Tertius !

Elle le posa sur la petite table à côté de lui, puis retourna à sa place sans le regarder. Lydgate était trop prompt à l’accuser d’insensibilité ; elle était assez sensible, à sa