Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/200

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L’accent absolument glacé de Rosemonde en prononçant ces mots : « Que puis-je faire ? » contenait toute l’indifférence du sentiment qui les dictait. Ils tombaient comme un frisson mortel sur la tendresse réveillée de Lydgate. Il n’éclata pas en indignation, il ressentait un trop triste serrement de cœur. Et quand il parla de nouveau, ce fut plutôt de l’air d’un homme qui se force à remplir un devoir.

— Il est nécessaire que vous le sachiez, parce que je suis obligé de donner une garantie pour quelque temps à l’un de mes créanciers. Il viendra quelqu’un, un de ces jours, pour faire l’inventaire de notre mobilier.

Rosemonde rougit vivement.

— N’avez-vous pas demandé à mon père de vous prêter de l’argent ?

— Non.

— Alors il faudra que je le lui demande, dit-elle, dégageant ses mains de celles de Lydgate, et se levant pour aller se mettre à une petite distance de lui.

— Non, Rosy. Il est trop tard pour cela. L’inventaire commencera demain. Rappelez-vous que c’est une simple garantie. Notre vie n’en sera pas changée, ce n’est qu’une mesure temporaire. J’insiste pour que votre père n’en sache rien, à moins que je ne préfère le lui dire, ajouta Lydgate avec une énergie plus péremptoire.

Ces paroles étaient dures, mais Rosemonde avait réveillé en Lydgate cette crainte désagréable de ce qu’elle était capable de faire dans la voie d’une douce et opiniâtre désobéissance. Cette dureté lui parut, à elle, impardonnable ; elle ne pleurait pas habituellement et n’aimait pas les pleurs, mais en ce moment son menton et ses lèvres commencèrent à trembler et les larmes lui vinrent aux yeux. Peut-être n’était-il pas possible à Lydgate, sous le double empire des difficultés matérielles et de sa fière résistance à des conséquences humiliantes, de se bien représenter ce