Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/245

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dre. Elle dit seulement d’un air grave en revenant au dernier mot qu’il avait prononcé :

— Je sais bien qu’on n’a jamais eu besoin d’aucune sauvegarde contre vous.

Will ne répondit pas. Dans le mouvement tumultueux de ses sentiments, ces mots d’elle lui parurent cruellement indifférents. Sa première explosion de colère passée, il pâlit et son visage prit une expression de douleur et de tristesse. Il alla à la table et referma son portefeuille, tandis que Dorothée le regardait à distance. Ils perdaient ainsi dans un misérable silence les derniers moments qu’ils avaient à passer ensemble. Que pouvait-il dire, puisque le sentiment qui était devenu malgré lui le plus puissant de son âme était son amour passionné pour elle, et qu’il s’interdisait de l’avouer ? Que pouvait-elle lui dire, puisqu’elle ne pouvait l’aider en rien, forcée qu’elle était de conserver la fortune qui aurait dû lui appartenir ; puisque aujourd’hui il ne semblait pas répondre comme de coutume à sa confiance entière et à son affection ?

Will se rapprocha enfin de la fenêtre.

— Il faut que je parte, dit-il avec cette expression particulière des yeux qui accompagne quelquefois un sentiment amer, comme s’ils s’étaient fatigués et brûlés à regarder une lumière de trop près.

— Que ferez-vous de par le monde ? dit Dorothée timidement, Vos intentions sont-elles encore les mêmes que la dernière fois que nous nous sommes dit adieu ?

— Oui, fit Will comme désireux de ne pas insister. Je me mettrai à la première occupation qui se présentera. Je suppose qu’on finit par prendre l’habitude d’avancer dans la vie sans bonheur et sans espoir.

— Oh ! quelles tristes paroles ! dit Dorothée qui se sentait prête à éclater en sanglots. Puis, essayant de sourire, elle ajouta : Nous convenions d’ordinaire que nous avions