Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oh ! ce Brooke ! Quelle espèce de fou avec son esprit indiscret et décousu !

— Eh bien, dans l’espèce, son indiscrétion m’a servi, car, au fait, pourquoi n’aimeriez-vous pas que je sache que vous avez voulu me rendre service, mon cher ami ? Et vous m’en avez rendu un très grand, certainement. C’est une dure épreuve pour notre amour-propre de considérer à quel point notre conduite dépend de l’argent que nous avons ou que nous n’avons pas. Jamais homme ne sera tenté de dire à rebours l’oraison dominicale pour plaire au diable, s’il n’a pas besoin des services du diable. Je n’ai plus à présent à dépendre des sourires de la chance.

— Je ne vois pas qu’il soit possible d’acquérir de l’argent autrement que par la chance, dit Lydgate. Dans quelque profession qu’un homme en gagne, ce sera presque sûrement la chance qui le lui amènera.

Ce discours était en contradiction si frappante avec le langage habituel de Lydgate que M. Farebrother y vit cette espèce d’hostilité qui vient souvent de la mauvaise humeur d’un homme très mal dans ses affaires. Il répondit d’un ton d’acquiescement et de bonne humeur :

— Ah ! il faut bien de la patience, à voir comment va le monde. Mais ce qui rend la patience plus facile à un homme, c’est d’avoir des aînés qui l’aiment et qui ne demandent pas mieux que de l’aider autant qu’il dépend d’eux.

— Oh ! oui, dit Lydgate d’un ton indifférent, regardant sa montre et changeant d’attitude, on fait souvent plus d’embarras de ses difficultés que cela n’en vaudrait la peine.

Il comprenait très clairement que c’était son assistance que M. Farebrother venait de lui offrir, et il n’en pouvait supporter l’idée. Nous sommes si étrangement bâtis, nous autres hommes : après avoir été longtemps heureux en pensant au service qu’il avait en secret rendu au vicaire, Lydgate, à cette idée que le vicaire l’avait pénétré et avait deviné qu’à