Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/300

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à être catéchisé de la sorte. Je vous ai parlé à cœur ouvert.

— C’est ce qui me donne aujourd’hui, je suppose, le droit de vous parler ainsi. C’est chose bien entendue, n’est-ce pas, que nous sommes sur un pied de franche amitié. Je vous ai écouté alors, et je vous prie de vouloir bien m’écouter à présent. Je puis avoir mon tour aujourd’hui, en vous parlant un peu de moi-même.

— Je vous ai la plus immense obligation, monsieur Farebrother, dit Fred, assez peu à son aise et éprouvant comme une crainte vague.

— Pourquoi affecterais-je de nier que vous m’avez en effet quelque obligation ? Mais je vais vous avouer, Fred, que j’ai été tenté de mettre fin à tout cela, en me taisant avec vous aujourd’hui. Quand on est venu me dire : « Le jeune Vincy s’est remis à aller tous les soirs à la salle de billard, il ne gardera pas longtemps le harnais », j’ai été tenté de faire le contraire de ce que je fais, de tenir ma langue et d’attendre, tandis que vous glissiez le long de l’échelle, pariant d’abord et puis…

— Je n’ai pas fait de pari, interrompit Fred vivement.

— Je suis heureux de l’apprendre. Mais, je vous le dis, mon premier mouvement a été de vous regarder faire, vous voir suivre la mauvaise pente, lasser la patience de Garth et perdre la plus belle occasion de votre vie, occasion que vous vous êtes assurée au prix d’un effort qui ne vous a pas peu coûté. Vous devinez, je pense, le sentiment qui a éveillé en moi cette tentation. Je suis sûr que vous le connaissez. Vous avez sûrement deviné que le succès de vos affections est un obstacle sur mon propre chemin.

Il y eut un silence. M. Farebrother semblait attendre de Fred une confirmation du fait et l’émotion qu’on sentait dans les notes de sa belle voix donnait de la solennité à ses paroles. Mais nul sentiment ne pouvait pour le moment apaiser l’alarme de Fred.