Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/301

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— On ne pouvait pas s’attendre à me voir renoncer à elle, dit Fred après un moment d’hésitation ; ce n’était pas le cas de faire montre de générosité.

— Certainement non, du moment que son affection répondait à la vôtre. Mais des attachements de cette nature, alors même qu’ils datent de loin, sont toujours susceptibles de changer. Je puis concevoir sans peine que telle conduite de votre part pourrait bien relâcher le lien qui l’unit à vous. Il faut vous souvenir qu’elle ne vous est liée que conditionnellement, et que, dans ce cas, un autre, qui peut se flatter d’avoir droit à son estime, pourrait arriver à conquérir dans son amour aussi bien que dans son respect cette place assurée que vous auriez laissée échapper. C’est une conséquence que je puis concevoir sans peine, répéta M. Farebrother énergiquement, Il y a un certain rapprochement de sympathie naturelle, qui pourrait prendre l’avantage même sur des relations plus anciennes.

M. Farebrother, avec sa langue très habile, semblait à Fred aussi cruel, dans sa manière de l’attaquer, que s’il eût été pourvu de bec et de serres. Il avait l’horrible conviction que, derrière tout ce récit hypothétique, le vicaire cachait la connaissance de quelque changement survenu dans les sentiments de Mary.

— Sans doute, je sais qu’il pourrait en être fini de moi bien facilement, dit-il d’une voix troublée, si elle se met à comparer !… Il s’arrêta, ne voulant pas trahir tout ce qu’il éprouvait, puis il dit, pressé par l’amertume : Mais je croyais que vous étiez mon ami.

— Je le suis en effet, et c’est pour cela que nous sommes ici. Mais j’ai eu une forte tentation de ne pas l’être. Je me suis dit : « S’il y a apparence que ce jouvenceau se fasse du tort, pourquoi interviendrais-tu ? Ne vaux-tu pas autant que lui, et les seize années de plus que lui que tu as traversées, affamé de ce même bonheur, ne te donnent-elles plus de