Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais aimé les expédients de la pauvreté et jamais, avant son mariage, ils n’étaient entrés dans ses perspectives d’avenir. Maintenant il commentait à se représenter comment deux êtres qui s’aimaient et avaient un fonds de pensées commun, pourraient rire de leur mobilier râpé, de leurs calculs sur la quantité de beurre et d’œufs qu’ils pouvaient se permettre. Mais le rayon de cette poésie semblait aussi loin de lui que l’insouciance de l’âge d’or ; il n’y avait pas assez de place dans l’esprit de Rosemonde pour que les choses de luxe n’y parussent pas l’essentiel. Il descendit de cheval dans une disposition d’esprit très sombre et entra dans la maison sans s’attendre à y rien trouver d’accueillant et de réconfortant que son dîner, et réfléchissant qu’avant la fin de la soirée il serait sage de prévenir Rosemonde de sa démarche auprès de Bulstrode et de son échec. Il serait bien aussi de ne pas perdre de temps à la préparer à tout.

Mais son dîner l’attendit longtemps avant qu’il lui fût possible d’y toucher ; car il s’aperçut en entrant que la maison avait déjà eu la visite d’un agent de Dover, et lorsqu’il demanda où était mistress Lydgate, on lui répondit qu’elle était dans sa chambre à coucher. Il monta et la trouva étendue sur son lit, pâle et muette, sans une réponse même dans l’expression de son visage aux regards ou aux paroles qu’il lui adressa. Il s’assit près du lit, et se penchant sur elle lui dit avec un cri presque suppliant :

— Pardonnez-moi pour cette infortune, ma pauvre Rosemonde ! Ne pensons qu’à nous aimer.

Elle le regarda silencieusement, avec le même désespoir morne sur le visage. Mais les larmes commencèrent à remplir ses yeux bleus, et sa lèvre trembla. Lydgate, l’homme fort, avait eu trop à endurer ce jour-là. Il laissa tomber sa tête à côté de celle de Rosemonde et sanglota. Il ne l’empêcha pas d’aller chez son père le lendemain matin de bonne