Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/346

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rement aux racines de l’action ? La prière ainsi faite est un langage silencieux, et le langage est une forme représentative. Quel homme peut se représenter lui-même absolument tel qu’il est, même dans ses propres réflexions ? Bulstrode n’avait pas encore débrouillé au fond de sa pensée les impulsions confuses des dernières vingt-quatre heures.

Il écouta dans le corridor, où l’on entendait une respiration pénible et intermittente. Puis il sortit dans le jardin et regarda le givre matinal répandu sur l’herbe et sur les jeunes feuilles du printemps. Lorsqu’il rentra dans la maison, il tressaillit à la vue de mistress Abel.

— Comment est votre malade ? endormi, je pense ? dit-il en s’efforçant de donner à sa voix un accent d’enjouement.

— Il est tombé bien bas, monsieur, dit mistress Abel. Il s’est affaibli peu à peu entre trois et quatre heures du matin. Voulez-vous, s’il vous plaît, y aller et l’examiner. J’ai pensé que cela ne ferait rien de le quitter. Mon mari est allé aux champs, et la petite fille surveille le déjeuner.

Bulstrode monta. Du premier coup d’œil il comprit que Raffles n’était pas dans le sommeil qui rend la vie, mais dans le sommeil qui entraîne toujours et toujours plus profondément dans le gouffre de la mort. Il regarda tout autour de la chambre et vit une bouteille de brandy et le flacon d’opium presque vide. Il le mit de côté et emporta la bouteille de brandy pour la renfermer dans le cellier.

Pendant son déjeuner il se demanda s’il allait partir tout de suite pour Middlemarch, ou s’il attendrait l’arrivée de Lydgate. Il se décida à attendre et dit à mistress Abel qu’elle pouvait aller à son ouvrage, qu’il resterait seul dans la chambre du malade.

Tandis qu’il y était assis et contemplait l’ennemi de son repos entrant irrévocablement dans le grand silence, il se sentait plus en paix qu’il ne l’avait été depuis bien des mois.