Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/383

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CHAPITRE III


Une femme, à Middlemarch, ne pouvait pas ignorer longtemps que la ville avait mauvaise opinion de son mari. Pas une amie intime n’aurait poussé l’amitié assez loin pour préciser le fait désagréable imputé à tort ou à raison au mari ; mais quand une femme trouvait tout d’un coup, pour sa pensée très peu active à l’ordinaire, une occasion de l’employer à quelque chose de cruellement défavorable à ses voisins, une stimulante série d’impulsions morales entrait en jeu, qui tendaient toutes à lui faire révéler ce quelque chose, la candeur par exemple. Être naïve, dans la phraséologie de Middlemarch, c’était saisir la première occasion de faire savoir à vos amis que vous ne considériez pas à un point de vue réjouissant leur mérite, leur conduite ou leur position ; et une candeur robuste n’attendait jamais qu’on lui demandât son avis. L’amour de la vérité encore, grand mot, signifiant dans ce cas une vive répugnance à voir une femme se montrer plus heureuse que ne le comportait le rôle de son mari, ou manifester trop de satisfaction de son sort : il fallait, par une opportune insinuation, faire comprendre à cette pauvre créature que, si elle connaissait la vérité, elle prendrait moins de plaisir à son chapeau et aux petits plats de ses soupers. Enfin, et par-dessus tout, la considération du perfectionnement moral d’une amie, ce qu’on appelait quelquefois son âme, et qui devait, selon toute apparence, tirer le plus grand profit de certaines remarques, empreintes de mélancolie, prononcées avec accompagnement de regards pensifs jetés sur le mobilier, une manière d’être enfin indiquant que, si l’interlocutrice ne di-