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Tant qu’il vivait, il ne pouvait rien exiger d’elle qu’elle ne fût libre de contester ou même de refuser. Mais, — cette pensée traversa plus d’une fois son esprit sans qu’elle pût y croire, — ne pouvait-il pas, peut-être, exiger d’elle quelque chose de plus que ce qu’elle était capable d’imaginer, puisqu’il lui demandait la promesse de remplir ses désirs sans lui dire en quoi ils consistaient ? Non ; son cœur n’était attaché qu’à son œuvre seule ; c’était là le but pour lequel sa vie brusquement arrêtée devait se prolonger par sa vie à elle. Et si maintenant elle allait lui dire : « Non ! si vous mourez, je ne mettrai pas la main à votre œuvre », ce serait comme d’écraser ce cœur meurtri.

Dorothée resta couchée pendant quatre heures, en proie à cette lutte intérieure, et finit par se sentir malade, égarée, incapable de prendre une résolution, priant en silence. Impuissante comme un enfant qui a sangloté et a crié trop longtemps, elle tomba dans un tardif sommeil du matin, et lorsqu’elle s’éveilla, M. Casaubon était déjà levé. Tantripp lui dit qu’il avait déjeuné, lu les prières et qu’il était dans la bibliothèque.

— Je ne vous ai jamais vue si pâle, madame, dit Tantripp, femme solide qui avait accompagné les deux sœurs à Lausanne.

— Ai-je jamais eu beaucoup de couleurs, Tantripp ? demanda Dorothée avec un faible sourire.

— On ne peut pas dire précisément beaucoup de couleurs, mais un éclat comme une rose de Chine. Mais que peut-on attendre à respirer toujours ces vieux bouquins ? Reposez-vous un peu ce matin, madame. Permettez-moi de dire que vous êtes malade et que vous ne pouvez aller vous renfermer dans cette bibliothèque.

— Oh ! non, non ! laissez-moi me dépêcher, M. Casaubon a tout particulièrement besoin de moi.

Elle était sûre, en descendant, qu’elle lui promettrait de