Page:Eliot - Silas Marner.djvu/37

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des lignes droites d’une certaine longueur, jusqu’à ce que l’accroissement du nombre de ces lignes, arrangées en triangles, fût devenu chez eux un but prédominant ? Ne trompons-nous pas les heures de désœuvrement ou les fatigues de l’attente en répétant quelque mouvement ou quelque son insignifiant, jusqu’à ce que cette répétition ait créé en nous un besoin, qui est l’origine d’une habitude. Cela nous aidera à comprendre comment l’amour de thésauriser devient une passion absorbante chez des hommes auxquels l’imagination ne montre d’autre but que leur trésor, même lorsqu’ils commencent à l’amasser. Marner désirait voir les piles de dix former un carré, puis un carré plus grand ; et chaque guinée ajoutée, tout en étant par elle-même une satisfaction, créait en lui un nouveau désir. Dans ce monde étrange d’ici-bas, devenu pour lui une énigme indéchiffrable, il aurait pu, s’il avait eu une nature moins ardente, s’asseoir à son métier et tisser sans relâche, en songeant à l’achèvement de son dessin ou de son tissu, jusqu’à oublier l’énigme et toute autre chose, excepté les sensations du moment ; mais l’argent était venu diviser son travail en périodes, et non seulement cet argent augmentait, il restait aussi avec lui. Il commença à croire que le métal, de même que le métier, avait conscience de son possesseur, et il n’aurait voulu à aucun prix échanger ces pièces qui étaient devenues ses intimes, pour d’autres pièces ayant des effigies inconnues. Il les maniait, il les