Page:Eliot - Silas Marner.djvu/38

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comptait, jusqu’à ce que leur forme et leur couleur produisissent sur lui l’effet agréable de l’étanchement de la soif. Toutefois, ce n’était que le soir, après son travail, qu’il les retirait pour jouir de leur société. Il avait enlevé quelques briques du sol au-dessous de son métier, et il avait fait un trou dans lequel il avait placé le pot de fer qui contenait les guinées et les pièces d’argent. Il recouvrait les briques avec du sable toutes les fois qu’il les replaçait. Ce n’était pas que l’idée d’un vol se présentât souvent ou distinctement à son esprit. À cette époque, dans les districts de la province, il n’était pas rare de thésauriser : c’était chose connue qu’il y avait des vieux paysans dans la paroisse de Raveloe, qui conservaient leurs économies chez eux, probablement dans leurs matelas de bourre de laine ; mais leurs rustiques voisins, bien qu’ils ne fussent pas tous aussi honnêtes que leurs ancêtres du temps du roi Alfred, n’avaient pas l’imagination assez hardie pour préméditer un vol avec effraction. Et comment auraient-ils pu dépenser l’argent dans leur village sans se trahir ? Ils eussent été obligés de « filer », résolution aussi aveugle et aussi téméraire que celle de voyager en ballon.

Ainsi, année après année, Silas Marner avait vécu dans cette solitude. Ses guinées s’étaient accrues dans le pot de fer, et son existence s’était rétrécie et endurcie de plus en plus, jusqu’à ne plus être qu’une simple pulsation du désir et du contentement, pulsation qui n’avait de rapport avec aucune autre créature.