Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/121

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se vérifie dans son cas : la certitude théorique qu’il possède ne l’empêche pas de se sentir un être très réel, de conserver le sentiment très fort et très douloureux de son moi, encore exaspéré peut-être par l’effort qu’il fait pour s’en affranchir. Il n’a que de rares moments où il sent ses passions éteintes, ses désirs calmés, où il peut se croire définitivement apaisé, « sans peur et sans désir »[1] : les passions reviennent et le ressaisissent[2]. C’est toute une lutte qui commence. Voyez Çunacépa : le jeune homme aime et tient à la vie, et Viçvamitra lui déclare : la sagesse est de renoncer à l’amour et à la vie, au nom de la doctrine de l’Illusion :


Va, le monde est un songe et l’homme n’a qu’un jour,
Et le néant divin ne connaît pas l’amour.


Çunacépa se laisse convaincre : oui, il se réjouira de sortir du monde illusoire de la passion. Telle esl l’aspiration sublime de l’homme pensant ; mais Çanta proteste : et l’éternelle espérance du cœur a été la Çanta de Leconte de Lisle. Son renoncement philosophique ne l’a pas préservé des tourments de cette espérance toujours renaissante et toujours trompée[3]. Le sage hindou constate que

  1. Les Rêves morts. [Poèmes barbares, p. 251].
  2. Les Oiseaux de proie. [Poèmes antiques, p. 274].
  3. On peut voir entre autres poèmes la Ravine Saint-Gilles. Ultra Cœlos, Les Spectres.