Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/233

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et tyrannique, Qaïn se révolte. La vision du révolté qui menace le ciel avait hanté le poète depuis qu’il avait lu Lélia ; au temps du socialisme et de la lutte contre la religion, il avait incarné cette attitude en Niobé ; mais c’est ici que le type du révolté trouve son expression parfaite. La pensée du poème se résume dans l’espèce de vision symbolique qui le termine : Dieu anéantit l’humanité seulement pour faire périr l’esprit de la révolte ; l’humanité périt, à l’exception des quelques hommes choisis par le Maître pour être ses esclaves dévoués, et voici que l’esprit de la révolte réapparaît pour revivre en ceuxlà même :


Quand le plus haut des pics eut bavé son écume,
Thogorma, fils d’Elam, d’épouvante blêmi,
Vit Qaïn le Vengeur, l’immortel Ennemi
Dlahvèh, qui marchait, sinistre, dans la brume,
Vers l’Arche monstrueuse apparue à demi.


Et Dieu sera anéanti. Et comme c’est à Dieu lui-même qu’est lancé le défi, le ton de la poésie est tout autre que dans l’Holocauste. Qaïn est magnifique dans l’imprécation :


Dieu de la foudre, Dieu des vents. Dieu des armées,
Qui roules aux déserts les sables étouffants… ;



toute la fin du grand discours à partir de ces vers[1]

  1. Poèmes barbares, p. 17.