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de justice » qui le met aux prises avec elle[1] : toute la question est pour lui analogue à celles de royauté ou de république, d’aristocratie ou de démocratie. Quant à la religion en tant que religion, aucun sentiment n’existe encore, ou du moins ce qui existe est encore ignoré, inconscient, endormi. Avec ses deux grands mots de raison et de nature, il est bien tranquille ; ni les besoins religieux du sentiment, ni les inquiétudes métaphysiques ne se manifestent ; ses vers, reflet de sa sensibilité, parlent de sources pures et de gazons humectés, de la beauté des jeunes filles, de vagues mélancolies amoureuses : voilà l’image de son âme.

Mais déjà il est très idéaliste. En face de la mer, tant qu’il est en société, il peut causer politique, mais aux heures de solitude, « enfant songeur couché sur le sable désert »[2] il rêve de choses plus sublimes, et dans ces rêves non encore analysés dort le sentiment religieux. C’est en parlant de ces heures-là qu’il a dit, quelques années plus tard :


Je me suis abreuvé dans l’urne universelle
        D’un amour immense et pieux[3].


Et, plus tard encore, en 1844, il a pu protester

  1. Leblond, p. 163.
  2. Ultra Cœclos [Poèmes barbares, p. 220].
  3. Cité par Staaff. La littérature française, t. III, p. 815.