Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/93

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ture révolutionnaire ne fut pas la cause de l’évolution définitive vers le pessimisme, elle en fut pour ainsi dire l’occasion. Avant 1848, Leconte de Lisle était si plein de son espérance et de son ardente foi socialistes, tellement lancé dans la lutte et acharné à atteindre le but qu’il avait à peine le loisir de s’abandonner à l’action des idées métaphysiques : s’il s’y laisse aller un instant, tout aussitôt il réagit. Mais elles sont là, menaçantes ; on dirait un mécanisme prêt à fonctionner et qu’une force étrangère arrête : l’accident de 1848 le déclanche. En lui enlevant brusquement le but de devant les yeux, il laisse Leconte de Lisle seul face à face avec la métaphysique : il jette les yeux autour de lui et voit en effet le monde tel qu’il redoutait de le voir, lors de la Recherche de Dieu.

La vie, maintenant, avec ce spectre du néant qui attend toutes choses, ne peut plus être que souffrance. Oui, Leconte de Lisle parle souvent du mal de la vie, il la maudit ; mais quelle est donc la définition de ce mal ? Demandons-le à un des passages qui mettent le plus en relief le mal absolu, le mal nécessaire de l’existence. C’est dans Qaïn. Qaïn s’écrie : « le mal est dans le monde ! » Ce cri résume une longue et effrayante description de la souffrance des vivants, que Dieu n’a créés que pour souffrir et pleurer, dit une strophe. Qaïn, pour faire entendre à Dieu qu’il est moins coupable que lui, énumère