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Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/232

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bébé est au paroxysme de la frayeur dès que sa nourrice le laisse seul, et la faculté de se défendre quelque peu soi-même s’acquiert si lentement, que les mères disent que la conservation de la vie et de la santé d’un jeune enfant est un miracle perpétuel. Les terreurs de l’enfant sont tout à fait légitimes, et ajoutent à son attrait ; car son ignorance, sa faiblesse absolues, et ses indignations charmantes avec un fonds de ressources si petit, forcent tous les spectateurs à se mettre de son côté. À tout moment, dès qu’il est éveillé, il s’exerce à se servir de ses yeux, de ses oreilles, de ses mains et de ses pieds, apprenant à affronter, à éviter le danger, et perd ainsi à chaque heure un de ses effrois. Mais cette éducation s’arrête trop tôt. Élevés dans la famille, et commençant de bonne heure à s’engager jour après jour dans la monotonie d’un travail tranquille, la grande majorité des hommes n’arrivent jamais aux rudes expériences qui font l’Indien, le soldat, ou l’homme qui vit à la limite du désert, se soutenant lui-même et ignorant la peur. La haute estime où l’on tient le courage est une preuve de la timidité générale. « Quand l’humanité rencontre de l’opposition », disait Franklin, « elle se montre lâche. » Même dans la guerre, on trouve rarement des généraux empressés à livrer bataille. Lord Wellington disait : « Les uniformes sont souvent des masques ; quand mon Journal sera publié, bien des statues tomberont. » Les Sagas scandinaves racontent que quand l’évêque Magnus reprocha au roi Sigurd son divorce coupable, le prêtre qui accompagnait l’évêque, s’attendant à tout moment à voir le roi barbare éclater de rage et tuer son supérieur, disait « qu’il ne voyait pas le ciel plus