à la pensée des choses vues sans pensée (du moins, sans pensée volontaire).
En matière d’éloquence, les grands triomphes se produisent quand l’orateur est élevé au-dessus de lui-même, quand il consent à n’être que l’organe du moment et des circonstances, et dit ce qui ne peut qu’être dit. De là le mot abandon, par où l’on désigne le renoncement de l’orateur à soi-même. Ce n’est pas sa volonté, mais le principe qui le mène, la grande conjoncture et la crise des événements, qui tonnent à l’oreille des foules.
Dans la poésie où tout est libre, chaque mot est nécessaire. La grande poésie ne pouvait être écrite autrement qu’elle ne l’est. La première fois que vous l’entendez, il vous semble que c’est la copie de quelque invisible tablette de l’Esprit éternel, plutôt que la composition arbitraire de l’auteur. Il a trouvé les vers, il ne les a pas faits. La Muse les lui a apportés.
En sculpture, qui a jamais appelé l’Apollon une composition de fantaisie, ou dit du Laocoon qu’il aurait pu être exécuté d’une autre manière ? Un chef d’œuvre de l’art a pour l’esprit une place fixe dans la chaîne des êtres, tout autant que la plante ou le cristal.
Tous les discours des hommes à ce sujet, et en particulier ceux des artistes, montrent que l’on croit que, en proportion de son excellence, l’œuvre d’art participe à la précision du Destin ; rien n’y est laissé au choix, rien au jeu ou à la fantaisie ; car dans le moment, ou les moments successifs, où la forme a été entrevue, les paupières de fer de la Raison, ordinairement lourdes de sommeil, se sont ouvertes.