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Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/52

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L’esprit de l’individu est devenu en cet instant le canal de l’esprit de l’humanité.

Il n’y a qu’une Raison. L’esprit qui a fait le monde n’est pas un esprit, mais l’esprit. Tout homme est un canal de ce même esprit, et de tout cet esprit. Et chaque œuvre d’art en est une manifestation plus ou moins pure. Aussi arrivons-nous à cette conclusion, que j’offre comme une confirmation de l’ensemble de ces vues : le plaisir que donne une œuvre d’art semble venir du fait de reconnaître en elle l’esprit qui a formé la Nature, agissant à nouveau.

L’œuvre d’art diffère des œuvres de la Nature en ce que celles-ci se reproduisent d’une manière organique. L’œuvre d’art ne le fait pas ; mais au point de vue spirituel, elle se multiplie par son action puissante sur l’intelligence des hommes.

Il s’ensuit que l’étude des œuvres admirables de l’Art aiguise notre perception de la beauté de la Nature ; qu’à travers les merveilles de l’une et de l’autre règne une certaine analogie, et que la contemplation d’une grande œuvre d’art nous amène à un état d’esprit que l’on peut appeler religieux. Elle appelle tous les sentiments supérieurs.

Procédant de l’Esprit absolu, dont l’essence est le bien tout autant que le vrai, les grandes œuvres sont toujours en accord avec la nature morale. Si le spectacle de la terre et de la mer s’harmonise avec la vertu plutôt qu’avec le vice — il en est de même des chefs-d’œuvre de l’art. Les galeries de sculpture antique à Naples et à Rome ne laissent pas d’impression plus profonde dans l’esprit que le contraste entre la pureté, l’austérité qu’expriment ces nobles têtes anciennes, et la frivolité, la grossièreté de la