Aller au contenu

Page:Emery - Vierges en fleur, 1902.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
VIERGES EN FLEUR

la patrie, grande faiseuse de veuves et d’orphelins…

— Ne les plaignez pas trop ces malheureuses… Les matelots qui partent ne sont pas leurs maris. Les filles de ces contrées sont très dévergondées ; dès seize ans elles se donnent au premier amoureux qui passe, dans un fossé, sur la grand’route. Elles sont comme des bêtes courant après le mâle.

— Ces bêtes-là, monsieur l’abbé, valent mieux que les vierges pudiques qui moisissent dans le froid de la chasteté, y dessèchent à la fois et leur chair et leur cœur ; ces vierges que je voudrais, toutes et toutes, culbuter aussi, jupes troussées, bouches ouvertes, pour en faire des femmes, les livrer au baiser, les vouer à l’amour. Oui, j’ai la haine furieuse, impitoyable, contre la virginité. Et ce n’est pas une rage stupide, irraisonnée. J’ai trente ans à peine, mais j’ai vécu dix vies, j’ai dépensé mon cœur, mon cerveau et mon sexe. Don Juan eut des maîtresses par centaines, par mille. Celles que j’ai tenues et baisées sous ma lèvre sont tellement nombreuses que je ne puis les compter ; et voyez-vous, l’abbé, c’est sur le sein des femmes seulement que l’on vit. C’est là que l’on apprend tout, la douceur et l’amertume, la sincérité et le mensonge, la cruauté et la bonté, la lâcheté et le cou-