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Page:Emery - Vierges en fleur, 1902.djvu/254

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VIERGES EN FLEUR

caravelles avaient emporte la reine. Et ses yeux éblouis, aveuglés de soleil, voyaient parfois rouler sur les flots sa chère tête décapitée.

Alors il espérait que la marée montante jetterait à la côte cette épave royale ; il la recueillerait voluptueusement ; et ses baisers feraient revivre les beaux yeux, ses baisers ranimeraient la corolle apâlie de la bouche amoureuse.

Chaque nuit, dans sa chambre hermétiquement close, il appelait l’aimée, croyait que la ténèbre soudain s’éclairerait et que, dans l’auréole, Marie apparaîtrait, langoureuse, pâmée.

Ce soir, il la cherchait, encore, sur les flots que la lune animait d’étincellements pâles.

Des mots qu’on prononçait à ses côtés, l’émurent.

Deux hommes conversaient :

— Oui, disait l’un, la vie est un mystère où l’homme ne voit rien, ne sait rien, n’entend rien… Mais si nous n’étions pas des sourds et des aveugles, la ténèbre parfois s’emplirait de clartés. Si, au lieu de nous isoler dans la cellule de notre individualité, nous cherchions à nous unir plutôt dans l’immense organisme de toute l’humanité, dont nous sommes chacun un atome, un corpuscule, nous nous initierions enfin à la lumière et au bonheur. Nos stupides égoïsmes se fondraient dans l’amour infini ; le mal dispa-