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indirectement qu’un savant homme, M. Godefroy, avait, lui aussi, songé à un dictionnaire historique de la langue française et amassé des matériaux à cette fin. La nouvelle de l’avance que j’avais prise lui ôta tout espoir. A lui la chance manquait. Pourtant tout ne fut pas perdu. Ces amples lectures et sa riche collection d’anciens exemples fournissaient sans peine de quoi faire un dictionnaire de la langue d’oïl, lequel nous manque. Bientôt je fus en rapport avec M. Godefroy, je donnai mon approbation à une telle entreprise ; je le confirmai dans la persuasion qu’elle était fort désirée ; j’exhortai, je pressai, j’alléguai maintes fois mon exemple et mes procédés. La mouche du coche, dira-t-on. Non pas tout à fait ; car M. Godefroy m’a payé de ma peine en me dédiant son livre, dont la première livraison vient de paraître, enlevant ainsi à l’érudition allemande, qui s’y préparait allègrement, l’honneur de nous donner, à nous Français, un glossaire de notre vieille langue[1].

A moi la chance s’ouvrait sous la forme de la seconde proposition de M. Hachette. Peut-être, après tant de préliminaires, étonnerai-je mon lecteur en lui confessant que, loin de la saisir avidement, je demandai vingt-quatre heures de réflexion. Ces vingt-quatre heures furent un temps d’angoisse ; je passai la nuit sans fermer l’œil, soupesant en idée, le fardeau dont il s’agissait définitivement de me charger. Jamais la sévère réalité du vers d’Horace[2] ne se présenta plus vivement à mon esprit. La longueur de l’entreprise, qui, je le prévoyais, me mènerait jusqu’à la vieillesse, et la nécessité de la

  1. Le Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du neuvième au quinzième siècle, par Frédéric Godefroy, porte en effet cette dédicace « A mon cher et vénéré maître M. E. Littré, hommage du plus tendre respect et de la plus profonde reconnaissance.» Ce grand ouvrage (1880-1895) ne compte pas moins de 8 volumes in-4o. L’auteur le fait, en ce moment, suivre d’un supplément non moins développé. L’Académie des inscriptions a honoré ce travail du grand prix Gobert. (Note de l’éditeur, 1897.)
  2. Quid ferre recusent, Quid valeant humeri.