Page:Emile Littre - Etudes et glanures - Didier, 1880.djvu/429

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moindre. Commencer aussitôt l’impression, la pousser rapidement et terminer en un délai relativement court, quelle tentation ! mais aussi quelle chute devant ma propre conscience et devant mon devoir à l’égard de mon éditeur !

Hanc demum litem melior natura diremit. Ma meilleure nature, en effet, mit fin à la contention intestine dont j’étais à la fois le siège et le juge, J’eus honte de ma faiblesse j’eus honte de la flatterie par laquelle j’essayais de me corrompre et d’endormir mes scrupules ; j’eus honte de ne pas placer les intérêts de mon éditeur sur le même niveau que les miens ; j’eus honte enfin de ne pas exécuter mon plan dans sa conception pleine et entière, abandonnant la saine et loyale espérance de produire, en un domaine aussi rebattu que celui de la lexicographie, un dictionnaire vraiment original, et de mériter, moi aussi, quelque gratitude de la part des travailleurs. Ces réflexions et ces reproches me rendirent l’empire sur moi-même. Et bien m’en prit. Les éléments instructifs, curieux, historiques, abondent dans mon dictionnaire. Plus d’une fois il m’est revenu que, cherchant un mot, le chercheur s’attarda et suivit la lecture comme il eût fait d’un livre ordinaire et courant. J’avoue que ces dires n’ont jamais manqué de chatouiller de mon cœur l’orgueilleuse faiblesse. Toute cette récompense était perdue, si j’avais misérablement faibli.

Les conseils bons et honnêtes ayant ainsi prévalu, j’appliquai toutes les forces de mon esprit et de mon courage à surmonter les obstacles dressés devant moi. Je vis bientôt et avec toute certitude le point décisif de ma situation : il était indispensable, mais il était suffisant, pour me mettre au-dessus de mon