Page:Emile Littre - Etudes et glanures - Didier, 1880.djvu/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mains l’épreuve passait, et à tenir compte des vues et des suggestions de chacun, on jugera qu’il n’était guère possible de demander plus de célérité ni à l’imprimerie, toujours pourvue de besogne, ni à M. Beaujean, cheville ouvrière, ni à moi, réviseur général. Quand il fut bien constaté que telle était la vitesse moyenne, je pus, en faisant l’estimation de l’accroissement de ma copie, calculer approximativement de combien d’années j’aurais besoin (car c’était par années qu’il fallait compter) pour atteindre l’achèvement, à supposer qu’il ne survînt aucune de ces males chances sans lesquelles les choses humaines ne vont guère. Je craignais la maladie pour moi ou pour les miens, la perte de papiers égarés, l’incendie ; ce fut la guerre, à laquelle je ne songeais pas, qui m’interrompit.

L’impression, commencée dans le dernier quart de 1859, finit en 1872. Elle dura donc un peu plus de treize ans. En 1859, j’avais près de cinquante-neuf ans ; en 1872, soixante et onze. Cet espace de vie humaine, long à tout âge, l’est relativement bien plus à la fin de l’existence. Pourtant je le passai sans encombre et sans ralentissement. Mais l’inclémence du sort sévit par les événements extérieurs ; la guerre de 1870 me fit perdre un an tout entier. Je me rends cette justice qu’en présence des dangers et des désastres de la patrie je ne conservai aucune pensée pour l’interruption ou la ruine (car le pire était en perspective) de mon œuvre. Mes préoccupations étaient ailleurs. Hippocrate, qui fut ma première étude, nous apprend qu’une douleur plus forte amortit une douleur moindre. La douleur moindre fut le dictionnaire, et elle fut amortie. En réalité, déduction faite de l’année de la guerre,