Page:Emile Littre - Etudes et glanures - Didier, 1880.djvu/436

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passée dans l’oisiveté de l’angoisse, l’impression avait demandé douze ans.

L’intervalle des deux mois nécessaires à l’imprimerie pour amener de l’état de copie à l’état de bon à tirer un lot de mon manuscrit fut mon salut ; car il me permit de gagner sur elle. La condition du succès gisait en ceci que, pour chaque intervalle de deux mois, la masse de copie consommée par l’imprimerie serait moindre que la masse de copie que j’aurais préparée et conduite à l’état satisfaisant. Cet état satisfaisant consistait à intercaler tous les matériaux qui étaient amassés ou qui s’amassaient au fur et à mesure selon un plan déterminé, à me servir du dépouillement de tous les dictionnaires patois que j’avais pu me procurer, et à mettre à contribution plus que je n’avais fait les vastes recueils de Lacurne Sainte-Palaye et de Pougens, en un mot à transformer en texte définitif et répondant de tout point à mes vues cette première ébauche que, dans ma présomption, j’avais imaginée suffisante en quantité et en qualité. C’était beaucoup de besogne ; mais, par une compensation qui m’animait d’un grand courage, mes tâtonnements m’avaient servi ; je procédais avec sûreté, et rien de ce nouveau travail n’était ni livré au hasard, ni perdu. A mesure que je gagnai sur l’imprimerie en la façon que j’ai indiquée, ma réserve de copie toute prête grossit, et dès lors je fus assuré de demeurer vainqueur en cette lutte. L’imprimerie n’y avait point d’efforts extraordinaires à faire ; elle n’avait qu’à être régulière, avec sa quantité de travail bien mesurée et son équipe bien dressée ; elle le fut. Mais à moi, c’était un effort extraordinaire de tous les jours qui m’était demandé, et cela pendant des années.